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13 décembre 2008 6 13 /12 /décembre /2008 15:42

      Veuillez trouver ci - dessous le texte intégral que j'ai rédigé, à l'occasion de mon départ à la retraite. Il a été lu par l'intéressé, à l'occasion de la réception offerte à la salle DELVAUX du Service Public Fédéral Affaires Etrangères, Commerce extérieur et Coopération au développement, rue des Petits Carmes à Bruxelles, du jeudi 11 décembre 2008 entre 12h 30 et 14 heures. Certains paragraphes, pour cause de durée, n'ont pas été présentés mais complètent parfaitement les idées qui y sont développées.

Cette réception a été rehaussée par la présence de MM :

             - John CORNET d'ELZIUS, chef de Cabinet adjoint du Ministre de la Coopération Charles MICHEL;
             - Peter MOORS, Directeur général de la Direction générale de la Coopération au développement (DGD) ;
             - Kris PANNEELS, Conseiller général de la Direction des Programmes Multilatéraux et Européens  - D4 de la DGD ;
             - Jean-Pierre LOIR, Conseiller général de la Direction des Programmes spéciaux - D2 de la DGD ;

             - Marc BUYS, Conseiller général de la Direction des Programmes de sensibilisation - D5 de la DGD ;
             
- Jacques THINSY, Conseiller général de la Direction de la Mondialisation - M4 de la DGM ;

                   et par une soixantaine de collaborateurs et collaboratrices.
 

Départ à la retraite - décembre 2008

(Y inclus les paragraphes non lus)

  
         Avant de vous dévoiler le contenu de ce petit mot d’adieu, je tiens à vous dire que j’ai voulu l’écrire, comme je l’ai fais précédemment pour d’autres départs de membres du personnel, dans un cadre d’humour, de dévotion et avec ce zeste d’auto-dérision qui légitimise les élans de cœur. Néanmoins, au vu de l’évolution des choses qui nous entoure, il m’a semblé, en construisant ce texte, que je devais faire preuve d’un peu plus de réalisme et remettre tout cela progressivement dans un cadre de réflexion.

 

         Pour être en phase avec le contexte international actuel, on devrait démarrer tout discours par l’emploi de l’expression volontariste «  Yes, we can ». Avouez cependant que pour un départ à la retraite, cela ne serait pas perçu de la même façon. Je serai dès lors beaucoup plus modéré dans mes propos.

 

         Et bien oui. J’ai bientôt 60 ans…et alors. Évidemment, on n’est plus au temps ou on lisait de temps en temps dans les livres ou les journaux : Un vieillard Sexe….Âgé…Nerfs…. Je vois que vous avez compris que tout évolue. Ce n’est plus l’époque ou on renversait le sablier pour entamer sa période de léthargie et non sa reconversion. Je constate que les choses sont en voie de changer. Je dirais plutôt que c’est l’âge d’une certaine sagesse. Celle qui consiste à faire comprendre que bien que vous puissiez connaître les réponses sur beaucoup de choses, on hésite à vous poser les questions.

        

         J’entends déjà certain dire : Il est de la période du baby boom. Celle qui en a bien profité. Cette génération qui est arrivée à point pour ne connaître que bonheur et prospérité. Celle qui écoutait la chanson «  Al you need is love ».  Peut être, mais je tiens avant tout à rappeler que je pars à un moment ou on ne peut plus se payer une bière avec une action FORTIS.  Un désastre quand même pour un belge.

 

         J’ai quelque peu réfléchi à trouver une ligne directrice dans ce discours. Je voulais éviter un trop grand éparpillement des idées ou  faire un relevé trop exhaustif de ce que j’ai pu retenir de cette assiduité à la coopération en général et aux programmes de développement rural en particulier depuis plus de trente ans.

 

         J’ai sans doute eu beaucoup de chance.  Etant issu d’un monde rural d’après guerre, celui qui a pu évoluer avec les plans Marshall, Mansholt et les PAC, j'y suis relié par un milieu familial qui exploite une ferme dans un petit village depuis plusieurs générations. J‘ai vu se développer devant moi, sans m’en rendre compte directement, une évolution manifeste de la campagne, marquée non seulement par une intensification de la production mais par la mise en place de mécanismes de protection des agriculteurs et de sécurité des consommateurs.  Et comme le dit le rapport de mon entretien d’évaluation, ce doit sans doute être ces raisons qui m’ont permis probablement de conserver les pieds sur terre faisant la synthèse entre l’analyse, le suivi technique et les aspects humains.

 

 Mais, me dirai-vous, pourquoi suis-je entré dans la coopération alors que j’étais sans réelles attaches, sans avoir vraiment de repères. Et pourtant, j’en sors ce jour avec un coffre au trésor rempli. Je n’ai malheureusement pas semé, durant cette carrière, sur des cahiers les souvenirs retraçant les grandes lignes de mon parcours. Cela rendra plus difficile ma tâche si un jour il me prend l’envie d’écrire un livre sur la coopération. Je me dois dès lors, non pas d’inventer, mais de dégrossir rapidement les quelques idées qui s’entrechoquent en moi pour en faire en quelque sorte, un journal brut de décoffrage.

 

         Pendant ma jeunesse, je fus bercé par la création d’une Europe qui se profilait. Bien qu’encore très jeune à cette époque, le traité de Rome, naissance de ce qui est aujourd’hui l’Europe et les accords de Genève qui mirent fin à la guerre d’Indochine, avaient déjà remplacés les accords de Yalta. J’avais été au contact d’une nouvelle forme d’équilibre  et de construction des pays, mis en avant par un certain nombre d’hommes politiques clairvoyants. Il y avait derrière cela des hommes comme Paul Henry SPAAK et Jean MONET pour le premier et Pierre MENDES FRANCE pour le second mais aussi un petit homme moins connu un peu timide qui s’appelait Jean REY. Ces personnes s’afficheront  comme des personnages visionnaires dont les décisions étaient basées sur le respect et l’éviction de nouvelles guerres. Comme simple rappel de mémoire, Jean REY fut le premier président de la Commission européenne. Ce n’est pas inutile de le rappeler aux jeunes.

 

Je me souviens que mon grand-père, ancien instituteur de l’école communale du village, et devenu premier échevin,  avait fait venir cette dernière personne pour une présentation. Ce fut l’un de mes plus importants souvenirs de jeunesse car il avait eu l’inspiration de joindre à son texte une carte du Monde. Même si je ne pouvais pas comprendre l’entièreté de son discours, j’avais devant moi pour la première fois un instrument qui devait constituer le cénacle de toute future inspiration. Il avait en quelque sorte appliqué la célèbre phrase de Napoléon «  Un croquis vaut mieux qu’un long discours ». Phrase qui de nos jours est comprise par la nécessité de présenter son sujet systématiquement via un indispensable Power point, le plus souvent insipide et incolore.  A partir de ce moment, je me suis mis, vous le croiriez ou pas, à étudier par cœur le nom de tous les pays et de leurs capitales. Avant l’heure de la mondialisation, des noms comme Bangkok, Freetown, Addis Abeba, Oulan - Bator, Tegucigalpa, Djakarta, Paramaribo, Damas, Bucarest, …n’avaient plus de secret. J’avais pénétré ce nouveau monde.

 

Mon premier vrai lien avec la coopération est en relation avec mes études à la Faculté Agronomique de Gembloux. Ses études ayant été concomitantes avec les évènements de mai 1968, l’une de mes premières vraies responsabilités fut de devoir maîtriser l’information et la communication parmi les étudiants comme éditeur responsable à cette époque du Journal des étudiants.

 

Et parmi les faits et récits de cette période, je fus de ceux qui firent venir, pour un exposé, une personne d’un jeune organisme d’Etat, créé dans la foulée des indépendances africaines et du Congo en particulier, et qui s’appelait l’OCD, l’Office de Coopération au Développement, ancêtre de l’AGCD, de la DGCI, et de la DGCD. Dans la foulée, je m’inscrivis à un cours de formation, sésame obligatoire pour partir à l’étranger, organisé à cette époque au domaine d’Huyzingen.

 

         Ce fut le début d’une aventure. Recruté en mars 1975, au temps de l’AGCD, pour entamer cette carrière au Maroc, je dois souligner que ce parcours peut relever quelque peu du hasard. Imaginez-vous l’époque. Obtenir son diplôme d’ingénieur agronome à Gembloux, spécialité tropicale, en 1973, donnait immédiatement la possibilité d’un engagement pour le Congo. Ce fut ainsi mon cas. Comment pouvait – on ne pas envisager cette continuité quand on a eu la chance d’avoir encore comme professeur des anciens de l’INEAC, revenu en 1960.  Mais hélas, cette année 1973 fut aussi l’année charnière qui marquait la fin d’une histoire continue avec ce pays. Ayant signé mon contrat avec une filiale d’Unilever pour aller travailler dans les plantations d’hévéa de la Province de l’Equateur, je dus rapidement remiser ce premier contrat aux oubliettes. Rappelez-vous novembre 1973, Mobutu décrète sa notion de « zaïrisation ». Préférant dès lors attendre, la société revient sur sa décision et me gratifia d’une indemnité compensatoire en noir, ce qui paraissait normal dans le contexte. C’est à partir de cet instant que la petite phrase «  Tout cela ne nous rendra pas le Congo » pris probablement sa vraie signification.

 

Je tentai, peu après, de récidiver avec un bureau d’études belge pour l’Algérie. Ce fut peine perdue car après trois mois de séjour à Alger, ce bureau d’études tomba en faillite. Imaginez- vous à l’époque, nous étions peu de temps après la fin de la guerre d’Algérie, sans un sou, à Bab el Oued au milieu de la casbah, seul avec mon épouse. Ne pouvant espérer que l’Ambassade de Belgique ne m’avance de l’argent, je reçus finalement l’aide de Traction et Electricité, présent sur place. Et encore heureux que mon père travaillait pour eux. Il servait de garantie pour me verser une avance destinée à payer nos deux billets d’avion, avance qui me fut de nouveau versée en noir. Décidément, j’avais pris rapidement conscience de la réalité africaine. Je me suis rappelé sans doute à ce moment la lecture du livre de René DOUMONT : « L’Afrique noire est mal partie « qui était plutôt un antidote pour s’aventurer dans pareille direction.

 

C’en était fini d’une expérience d’agriculture orientée sur les productions industrielles tropicales. Envisageant sans doute de rester en Belgique, je suivis une formation à la Sucrerie et Raffinerie de Tirlemont. Et c’est pendant celle-ci que je fus informé par le Directeur des Services Agronomiques de la Sucrerie, qu’un poste était ouvert à la Coopération pour le Maroc demandant une expérience en betteraves sucrières et avec une spécialité en cultures tropicales. Vous pensez bien que ce genre de curriculum ne courrait pas les rues. Avec en plus mon stage de formation réussi précédemment, je n’avais pas de rivaux pour me confisquer le poste. 

 

         Je ne m’étendrai pas sur les différentes étapes de ma carrière comme coopérant. Ce n’est pas le but de ce discours. Je voudrais simplement ajouter que j’ai pu travailler durant cette période en phase avec la réalité. A la fois comme responsable d’une station de recherche - développement, comme gestionnaire d’un périmètre d’irrigation, comme producteur au niveau d’une pépinière fruitière, comme analyste agro - économiste chargé de mesurer l’impact d’un système irrigué de cultures, j’ai  été au contact de la réalité des gens, pour les informer, les documenter même si parfois cela se faisait selon une démarche volontariste et innovante liée à une politique nationale de développement. Comment voulez-vous produire des plants fruitiers si vous ne faites pas ce qui est nécessaire pour les vendre ? Comment voulez-vous atteindre un objectif de superficies irriguées si vous n’y allez pas avec des arguments et des informations convaincantes ?

 

         De tout cela, je peux en tirer une première conclusion. J’ai vu la fin de l’Afrique de papa qui s’était déjà profilée avec la nationalisation du canal de Suez, les indépendances mais surtout la poursuite de la guerre froide. Un exemple parmi d’autres qui démontre de cela. J’ai peut être été l’un des rares coopérants à organiser ma mutation en changeant d’affectation sur une distance de 700 km en cours de contrat au Maroc. Le chef de section de coopération, ancien agent territorial au Congo, pas content de ne pas avoir été impliqué, avait souhaité voir mon nouveau Directeur marocain pour lui exprimer sa désapprobation. A peine était – il entré dans son bureau que ce dernier lui fit comprendre que j’étais un cadre travaillant au sein d’une administration marocaine et qu’en conséquence c’était à cette administration de juger utile de l’opportunité de ma mutation. Je suppose qu’il en est ressorti en concluant que le Congo de papa était terminé.

 

         De ce séjour au Maroc, je ne peux que me féliciter d’avoir été au contact de personnes compétentes qui m’ont permis d’extraire la quintessence des acquis des études d’ingénieur en me demandant parfois de rechercher dans mes tripes des solutions à certaines situations mais aussi de forcer le contact avec les gens. Ce sont des personnes comme Othmane LALHOU, BENNANI, CHLOUCHI, SEBBARI, El AMOURI, HOMMANI, SOUIRGI,… qui m’ont fait comprendre qu’une station de recherche devait être un moteur de développement et non une enceinte fermée, qu’un plan directeur agricole permettait de focaliser des énergies sur des objectifs, qu’une collaboration avec le secteur privé se faisait selon un rapport de force égalitaire, qu’il existait un lien manifeste entre l’agriculture et l’art culinaire d’un pays. A la fin de mon séjour dans ce pays, j’ai adressé, à titre personnel, une lettre à toutes ces personnes qui m’avaient aidé à me mondialiser sur une base humaniste et pratique et non théorique.

 

         L’un des aspects relevant de cette période a consisté, et je crois que ce n’est pas un tabou, dans le manque de dialogues entre la Section de Coopération, toute puissante financièrement, et l’Ambassade toute bling – bling à coté.  Cela a été la réalité mais le manque de dialogues a joué certainement dans les deux sens. Il  est vrai que la période de guerre froide qui se prolongeait développait une certaine opacité de cette réalité. On a très certainement raté une occasion de pouvoir investir pour le futur en se reposant sur un réseau de personnes en lien direct avec la réalité. Manifestement, cet obscurantisme on le paie quelque peu de nos jours.

 

Ceci fut parfois possible néanmoins. Un exemple parmi d’autres. Un jour la représentante allemande de la délégation européenne à Dakar, me demanda, après accord de l’Ambassadeur de Belgique, d’effectuer une mission incognito dans une réserve naturelle pour aller vérifier les allégations publiées dans un journal local. Je fis un rapport alarmant, photos à l’appui, sur le déboisement opéré avec l’aval des autorités. Il s’en suivit un dialogue politique dont j’ai évidemment été écarté. Mais le lien avec le terrain avait servi de base.

 

Je ne vais pas m’étendre sur certains concepts dont la coopération s’est éprise au cours de ces dernières années : la durabilité, la globalisation, l’harmonie, les thématiques transversales, et bien d’autres choses…. On devra attendre ce que tout cela donnera avant de comparer avec ce que nous avons fait précédemment. Je ne puis que dire qu’une chose aujourd’hui : Malgré notre souci de bien faire, notre conscience professionnelle, l’élaboration de méthodologies ayant démontré de leur pertinence, force est de constater que nous n’avons toujours pas été aidé par les pays africains eux-mêmes. Et j’espère que le nouveau concept de «  core » qui prévaut ne donnera pas l’occasion d’être utilisé, excusez moi le jeu de mots,  à corps perdu.

 

         J’ai pensé à un moment donné un titre à mon texte, une phrase comme «  Ma mondialisation à moi » pour bien montrer finalement que mon parcours de vie s’est identifié à ce concept mais sous une autre approche.

 

         Imaginez - vous qu’en arrivant au milieu de la 6ème année primaire, en 1960, dans un athénée, à proximité de Charleroi, je me suis assis à côté d’un fils de mineur italien. Ce fut ma première rencontre avec un étranger. Il était le seul étranger de la classe. Personne ne s’était assis à côté de lui en début d’année.  Moi, qui venais de côtoyer le milieu rural, je me suis mis à l’aider quelque peu dans ses devoirs. Et en échange, j’ai pu apprécier quelques temps après, pour la première fois de ma vie, un spaghetti bolognaise.

 

         Par la suite, en arrivant à la Faculté de Gembloux, ce furent mes premières rencontres avec des étudiants arabes et africains. Et de nouveau, cet échange me permit de savourer le premier couscous et la première mwambe, préparée dans les locaux de la Maison Internationale. Et, j’irai même un peu plus loin dans ce contexte. C’est en signant mon contrat avec ce bureau d’études belge que je fis la rencontre du premier flamand.  Mais pour tout dire, comme ma mère préparait déjà des carbonnades flamandes et des croquettes aux crevettes, je considérai qu’il n’y avait pas de différences entre nous.

 

Et je pourrai continuer ainsi en me remémorant ma rencontre avec un premier anglais, Robert FORSTER et sa cuisine si particulière, une première petite vietnamienne dont j’ai oublié le prénom mais retenu son plat de nem accompagné de sa sauce au niocman, Virgilio le premier espagnol et sa paëlla préparée à l'abri de sa cabane de Sakh Sokh, le premier breton Philippe et son flan breton, Karim le premier libanais et son mezze, Irène, la première hollandaise avec son plat de maatjes, et cela pourrait être une longue liste si je me mettais à rechercher dans mes souvenirs.

 

Tout cela pour dire que tout ce qui touche à l’alimentation et à l’agriculture et j’en suis conscient,  restera un élément important de la vie, de la culture, de la stabilité et de l’échange entre les nations.

 

Vous connaissez tous probablement ma métaphore sur la prise du médicament prescrit par un médecin. J’en citerai une autre, toute bête :

« On procède à l’interrogatoire d’un vagabond. On dit de nos jours un SDF. On lui demande comment il fait pour vivre puisqu’il ne travaille pas. Et le clochard de répondre simplement : Ben, je mange… »

 

Une autre plus en rapport avec cette maison. Quelle est la principale qualité exigée d’un diplomate ? demandait –on à un ancien Commissaire européen.  Voyez-vous, répondit celui-ci en souriant, si vous êtes capable d’ouvrir une douzaine d’oursins sans vous piquer les doigts, vous êtes murs pour être diplomate. Toujours cette référence à l’alimentation. Ce qui signifierait qu’il n’y aurait pas beaucoup de différences entre un bon diplomate et un pêcheur.

 

De ce séjour au Multi, pendant 15 ans, Kris fait très certainement exception. De ce coté, je dois dire que j’ai été bien servi et bien défendu l’égalité des sexes. Ainsi, depuis 1993, je peux me targuer d’avoir été supervisé successivement par Anita, Sonia, Marie-Louise, Martine et Micheline. Seul, le regretté Dany GHEKIERE est venu interrompre la lignée. Et dans ce registre de condoléances, je ne manque pas de mentionner Eric DE BOCK et Luc VANRAEMDONCK, deux de ces agronomes connaisseurs de l’Afrique, qui nous ont quittés ces dernières années. Avec Eric, je me souviens avoir effectué une mission de suivi sur ce projet HUP de la FAO en RDC. Ce fut l’un de ces moments que l’on n’oublie pas de sitôt. Autant, je  suis issu de la Belgique rurale profonde, autant lui connaissait cette Afrique profonde qui l’avait vu naître. Faire une mission avec un personnage aussi charismatique que connaisseur est un souvenir que l’on ne peut oublier. Et je me rappelle également de Luc avec qui je discutais encore la veille à l’occasion du diner qui suivait la consultation annuelle avec la FAO. Toujours avec cette volonté de vouloir mieux faire, tel était la perception que j’en ai retirée.

 

Questions de durabilité, je n’ai pas à craindre dans un certain sens l’oubli. Je n’ai pas trop de craintes au niveau des quelques publications effectuées. Il y a bien sur celles publiées par Tropicultura mais aussi reprises pour certaines par le CRDI (coopération canadienne), l’ANAFID au Maroc et la base de données AGRIS/FAO. Et je suis probablement le dernier de cette maison à avoir collaboré à la publication de ce livre intitulé «  Agriculture en Afrique tropicale ». Un livre qui fut rédigé dans la tradition héritée de nos ainés. Une expertise de terroir basée sur la technique et la recherche qui s’était perpétuée jusqu’à ces dernières années.

 

Car, si je cherche toujours le fil conducteur de ma présence à la coopération, il est évident que la référence à l’importance des acquis obtenus en matière d’agronomie tropicale avec des noms aussi magiques que Yangambi, Gandajika, Mulungu, Mvuazi… est forte et s’intègre parfaitement à la carte du monde que m’a fait découvrir Jean REY. Il y avait quelque part des références indéniables, porteurs de rêves et d’espoir. Le futur est à craindre cependant, non seulement au niveau de la base, de la formation que de l’expertise.

 

Car l’un des principaux constats que j’ai pu observer tout au long de cette carrière, c’est finalement d’avoir compris pourquoi c’était un agronome qui avait écrit ce premier livre messianique sur l’Afrique. Qui pouvaient finalement être au courant de la réalité profonde de ces pays, si ce ne sont les agronomes qui sont en permanence au contact de la latérite, du vent des idées, de la terre qui se meurt, du blé qui lève, de la parole non écrite.

 

J’ai vu et compris le risque majeur d’un développement de la désinformation, de l’idéologie, via parfois des systèmes d’éducation peu productifs qui risquaient de produire un obscurantisme. En me réinstallant en Belgique en 1991, je rédigeai pour le Centre d’études Jean REY, une note de réflexion d’une dizaine de pages sur ce que j’entrevoyais comme problématique de la politique de coopération future au niveau du continent africain. Vous me direz que c’est un peu présomptueux d’en parler maintenant. Mais quand je la relis maintenant, je retrouve certains axes actuels qui s’avéraient prémonitoire à l’époque, tels que la déforestation, le manque de réserves de terres, l’intégration régionale, l’amélioration des systèmes de culture, la crise identitaire, la fragilité des accords d’Arusha, le manque de flexibilité de l’ONU, le développement des systèmes d’alerte précoce, le transfert des capacités, le soutien à l’Afrique du Sud comme moteur de réussite, la mise en place d’un système de suivi et d’impact, une politique européenne coordonnée. Et j’y mentionnais, en me basant sur un document FAO, une liste des pays potentiellement susceptibles de subir des crises. En énumérant cela aujourd’hui, on peut vérifier que je n’avais pas sorti cette liste d’une boule de cristal. On y retrouvait successivement, par ordre d’importance décroissante des pays comme le Burundi, le Rwanda, l’Afghanistan, la Tunisie, le Yémen, l’Egypte, le Bangladesh, le Pakistan et Haïti. Avouez qu’il y à de quoi en rester un peu bouche bée. Et si j’étais diplomate, je me mettrais immédiatement à écrire une note au Ministre en disant que le prochain pays instable sera la Tunisie car c’est le seul pays qui n’a pas encore été touché.

 

Finalement, mon choix de carrière était lié avec cet espoir d’entrer dans ce nouveau Monde que m’avait fait découvrir Jean REY. Espérons de nos jours toutefois que dans un autre registre, celle par exemple de la Station polaire d’Alain HUBERT, et dans le contexte climatique actuel, on puisse apporter ce rêve, cet espoir, cette compétence à une nouvelle génération. Que des vulgarisateurs de son niveau, se rendront dans les écoles primaires pour émerveiller et colorier des regards qui attendent de s’ouvrir. Car je suis persuadé que pour lutter contre le développement d’idéologies mensongères, la propagation de dogmes,  les méfaits de système maffieux, la seule méthode efficace consiste à transférer ce rêve, cet espoir, cette compétence dès le plus jeune âge. Donner de l’émerveillement à ces jeunes tout réceptifs serait un premier pas vers la connaissance et le respect. De même, on pourrait faire comprendre de cette façon que c’est la mer qui prend l’homme et non l’inverse.

 

Je verrais ainsi le vicomte DAVIGNON s’impliquer plus spécifiquement dans cette stratégie d’autant qu’il aura désormais du temps libre. Imaginez le dans une école, sans sa pipe, avec comme seul tableau la courbe de l’évolution de l’action FORTIS !! Cela rendrait plus humble toute personne.

 

Tout comme pour les produits alimentaires, on devrait finalement imposer des dates de péremption obligatoires pour supprimer les causes et les raisons de ces idéologies, de ces dogmes, qui constituent le chienlit de nos civilisations. Une fois qu’elles auraient été jugées inacceptables, on les retirerait du jour au lendemain de la circulation, de façon similaire aux boîtes de conserves périmées. Car, après la  crise pétrolière, la crise alimentaire, la crise financière, on peut craindre que n’apparaisse ce qui serait encore plus grave, à savoir la crise de références culturelles.

 

C’est pourquoi, j’irais plus loin dans la refonte des programmes scolaires aujourd’hui. Dites vous bien que l’un des potentiels le plus important de ses prochaines années s’exercera au niveau du groupe des personnes pensionnées. On doit prendre conscience que tout ce qui est du ressort du secteur associatif repose en grande majorité sur le bénévolat de ces personnes. A l’heure ou certains s’accrochent à des fonctions ou que d’autres envisagent de prolonger l’âge de la pension, il serait probablement plus utile d’utiliser cette force vive à des fins pédagogiques. Pour cela, il faudra forcément être imaginatif et créer un cadre légal spécifique. Je ne lance ici qu’une réflexion mais je crois volontiers que l’on peut faire à ce niveau le lien entre les générations et donner un vrai sens au mot durabilité.

 

Pour une fois que l’Afrique peut nous servir comme exemple, ce serait l’occasion d’en profiter. Ne dit-on pas sur ce continent que quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui disparaît.

 

Après 35 ans de carrière, à travers l’acquisition d’une certaine expérience de la vie, j’ai sans doute l’opportunité de rencontrer de nouvelles joies, de nouveaux étonnements. Je n’ai pas comme par le passé, à ce stade de l’écriture, entamer ma bouteille de whisky. Comme si je me rendais compte que l’époque était à une réflexion plus sérieuse. Qu’il fallait rendre limpide le futur et réconcilier au plus vite les gens avec un rêve, un espoir, une idée, …. Comme si je me rendais compte que je devais présenter une face propre à cette nouvelle génération, qu’il fallait encourager plutôt que critiquer et non pas finir ce moment avec seulement la tranche d’humour habituelle. Car, pour en référer à MALRAUX,  la seule unité de notre civilisation, c’est l’interrogation et non le dogme. Et j’ai certaines craintes sur l’interprétation de la phrase qu’on lui attribue : » Le 21ième siècle sera religieux ou ne sera pas ».

 

Je citerai deux expressions idiomatiques qui me semblent complémentaires au niveau de l’existence et qui malheureusement peuvent être quelque peu antagoniste :

         « Tout excès constitue une nuisance pour l’homme »

         « Chasser le naturel, il revient au galop »

Beau sujet de dissertation, je vous l’avoue.

 

Malgré certains aspects de mon écriture, je ne suis pas un contestataire dans l’âme. Je ne suis pas venu habiller du keffi d’Arafat, du teeshirt de Che Guevara, des sandales du dalaï-lama, du pantalon de James Dean, de la pipe de Davignon, du blouson en cuir signé Francesco Smalto,  le tout agrémenté éventuellement de l’écharpe rouge et blanc d’Yves Leterme. Ce n’est pas mon genre. Je n’en suis pas encore à mélanger les genres. Mais je constate que le mauvais goût semble se propager au même titre que les mauvaises idées.

 

Et pour terminer, je me remémorerai  la phrase que mon professeur de français m’a allongée au soir de ma dernière dissertation de rhétorique : Monsieur PARFONRY, si je n’ai rien à vous dire sur la forme du texte, je me demande, quant au fond, comment vous allez pouvoir vivre avec la réalité du monde. Pour lui, la connaissance des philosophies émanant de la Grèce antique apparaissait quelque peu périlleux, voire risqué. Le mélange de l’épicurisme et du stoïcisme ne faisaient pas un bon carburant alternatif pour entrer dans un nouveau monde. Or, c’est en fait tout le contraire qui s’est produit, ne me contentant pas de me limiter à une application à un premier niveau de ces philosophies.

 

De nos jours, on parlerait plus volontiers de civilisation des loisirs au lieu d’épicurisme et de gestion axée sur les résultats en ce qui concerne le stoïcisme. Je dirai aujourd’hui que de ce mélange j’ai pu parfaitement m’y adapter et que ma carrière d’agronome à la coopération m’y a aidé fortement. Je me suis efforcé de ne pas confondre idéalisme et idéologie, ni réflexion métaphysique et dogme. C’est ce que l’on peut qualifier d’acquis durable pour plus de sagesse et de bonheur.

 

La réception à laquelle vous êtes invité aujourd’hui n’est que le début d’une période de transition. Vous en êtes parfaitement conscient. Désormais, au lieu de faire mes courses en courant, je pourrai faire mon marché en marchant. Et chaque fois que je prendrai  ma voiture le matin, le déclic devra dorénavant se faire dans la tête aussi.

 

 

 

                                                                Roland PARFONRY

                                                                Bruxelles – Aiseau, le  10 décembre 2008

 

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