Jacques PARFONRY a 20 ans en ce jour du 26 août
1944 quand il découvre probablement la stature du Général de GAULLE descendant à pied l'Avenue des Champs Elysées à Paris. Il y voit pour la première fois la figure de celui qui a lancé
l'appel du 18 juin 1940, venu à la rencontre de la France. Vis à vis de sa jeunesse fougueuse, il sait que la Victoire reste, malgré tout, à finaliser.
La 2ème DB du Général
LECLERC ne peut, à elle seule, libérer le pays. De GAULLE en prend conscience. Il se tourne dès lors vers cette Armée d'Afrique, renommée Première armée française et commandée par le Général Jean
de LATTRE de TASSIGNY. Auréolée de ses victoires et de ses faits d'armes accumulés lors de la campagne d'Italie et du débarquement en Provence, cette armée est essentiellement composée de soldats
maghrébins (50%) et de Pieds-Noirs (32%)1. Ayant mis haut et fort la vaillance de ceux qui seront désormais appelés "
Tirailleurs ", l'épopée de cette Première Armée française sert de cadre au film " Indigènes ".
Pour le Général de LATTRE, le défi est de taille. Il reste à récupérer toute la France de
l'Est et l'hiver 45 approche. Le capital de ses troupes a été fortement entaillé à la suite des combats de la campagne d'Italie de novembre 1943 à juillet 1944. Dès septembre 1944, il
est décidé d'incorporer à cette Première Armée les différents réseaux de résistances rassemblés au sein des FFI (Forces françaises de l'Intérieur) ainsi que les volontaires, après une
rapide formation.
Jacques s'engage comme volontaire sans coup férir. Il
intégrera au final le 20e Bataillon des Chasseurs alpins (20e BCA), reconstitué le 24 janvier 1945 à partir du renfort des maquis de
résistance et des survivants du Bataillon d'Appui du Régiment de Reconnaissance (BARR2), issu du 4ème Régiment des Tirailleurs Marocains (4e RTM), l'un des quatre régiments de la déjà célèbre 2ème Division d'Infanterie Marocaine (2e DIM) qui avait combattu avec vaillance en Italie. Le baptème du feu
débute en octobre 44 par la bataille des Vosges, puis ce sera la bataille d'Alsace en novembre pour se terminer en France par la bataille de Colmar. Le 19 mars 1945, la Première Armée fait son
entrée en Allemagne. Les ponts sur le Rhin ayant été détruits, l'enlisement est à craindre. Alarmé par la réussite de l'armée américaine, dès le 7 mars, du passage par le seul pont existant,
celui de Remagen, puis le 23 mars par les britanniques en aval de Wesel, de GAULLE veut y apporter une réponse. Le déferlement de l'armée américaine en territoire allemand risque d'être pour
lui un second échec, après la Conférence de Yalta de février 1945, qui avait snobé toute participation française. Il veut absolument que des troupes françaises s'interposent sur le
territoire allemand entre les américains et les britanniques pour réserver à la France une zone d'occupation conquise par les armes. Une seule solution s'offre à lui. Ce sera le
passage du Rhin à Germersheim, localité de Rhénanie-Palatinat. Il donne le 29 mars l'ordre au Général de LATTRE de passer coute que coute. Sans grande préparation mais grâce à la
ténacité d'une poignée d'hommes du 4e RTM, le Rhin sera franchi durant la journée du 31 mars à Germersheim. En faisant la jonction, dès le
1er avril, avec la 3ème Division d'Infanterie algérienne (3e DIA), la France pourra occuper le Bade-Wurtemburg.
Ce passage du Rhin3
à Germersheim fut un acte symbolique important car il permit de redonner à la France du prestige au niveau international. Et le général de LATTRE de TASSIGNY aura l'honneur de
représenter la France à Berlin, le 8 mai 1945, pour signer l'acte de capitulation de l'Allemagne aux côtés d'EISENHOWER pour les USA, de MONTGOMERY pour la Grande - Bretagne et de JOUKOV
pour la Russie. Le 4e RTM apposera sur son drapeau le nom de Germersheim, après ceux des Abruzzes, de Garigliano, de Belfort et avant
l'Indochine.
Jacques fera partie des quelques 90
hommes qui durent assumer l'ordre envoyé deux jours plus tôt par le Général de GAULLE. Il mettra le pied sur la rive droite, avançant dans l'une de ses barques à moteur M2 du génie,
soumis aux tirs et aux obus et voyant se noyer nombre de ses compagnons, lestés de vivres et d'armements. De cette journée du 31 mars 1945, Jacques fera
preuve durant toute sa vie d'une discrétion dont sont capables ceux qui y ont blessé leur âme, laissé leur innocence, préférant enfouir les images dans les
caches sombres des mémoires et les récits dans des recoins non dévoilés des armoires4. Avec pour unique
preuve de courage et de clairvoyance d'avoir le sentiment de commencer dès le lendemain une seconde vie.
Les quelques passages qui suivent, extraits du livre : Carnets de jeunesse d'un
dinausore en Afrique du Nord, Daniel Verstraatt, L'Harmattan, 2010 relatent les temps forts de la journée du 31 mars 1945 à Germersheim, en suivant, au fil des heures,
le parcours du sergent-chef Hubert DUBIN, qui fut le premier avec huit hommes à atteindre la rive droite du Rhin. DUBIN sera décoré le 7 avril suivant par le général de GAULLE de la croix de
guerre avec palme et de la médaille militaire, puis élevé au grade d’officier de la Légion d’Honneur en mai 1998 par le Président CHIRAC dans la Cour des Invalides. Cette Première Armée sera par la
suite appelée l’armée Rhin-Danube.
Il est 4h40. Dubin a du temps avant de faire
embarquer sa section. Il est pourtant étonné par l'absence d'information sur sa mission, sur l'ennemi, sur le terrain où il manoeuvrera.....
Soudain, le tonnerre de l'artillerie française éclate. Il est 4h50. Sur la rive gauche, le ciel se teinte d'une lueur blafarde et la rive droite du Rhin rougeoie dans un formidable fracas.......
5h30. Ou est la section Sailer ?...Le lieutenant l'informe
brièvement d'un débarquement par erreur de la première vague sur l'île qui sépare le Rhin du bras mort. Il n'y a personne sur la rive droite. Dubin en reste estomaqué.....
Il est 5h40. L'artillerie française s'est tue depuis 40
minutes. Les sept bateaux s'engagent sur le fleuve. L'aurore est là. Il n'y a pas d'officier pour diriger cette opération qui se déroule sans appui d'artillerie.......
Dubin relève la tête et constate avec stupeur que sa barque est seule sur le Rhin. Le pilote du génie,
impassible, largement exposé aux coups, cible privilégiée des tireurs ennemis, gouverne son engin d'une main ferme. Il interroge le sergent-chef du regard. Faut-il continuer ou rebrousser chemin
?......
Deux sergents-chefs, un sergent, un caporal et cinq tirailleurs sautent dans l'eau qui atteint leur ceinturon,
pataugent dans le courant et escaladent la berge où ils se jettent derrière le muret. La chance leur a une nouvelle fois souri quand ils ont sauté à l'aveuglette dans le fleuve qui n'a en cet
endroit qu'un mètre de profondeur.........
Il est 5h50. on est loin des prévisions. Plus de 200 hommes
devraient à l'heure actuelle avoir ouvert une tête de pont. Qu'est-il advenu des mitrailleuses et des mortiers de 60 ? Probablement restés au fond du Rhin......
Il doit être 6h30. L'un des hommes qu'il a placé sur les
flancs l'informe que trois embarcations accostent à un peu plus de 40 m au sud de leur position. Elles ont déposé le lieutenant Sailer et une trentaine d'hommes rescapés d'une vague de douze
bateaux.......
Vers 7h30, deux armes automatiques allemandes sont
détruites par les mitrailleuses lourdes du sergent-chef Labrande de la CA3.5 La sortie du goulet en est
améliorée.......
Abrités par la digue, des Allemands soumettent les hommes de Dubin à un feu roulant. Ils sont le premier
obstacle à abattre. Le groupe de Dubin progresse par bonds successifs. On se fusille à vue, d'arbre à arbre et de trou à trou, quelquefois en se voyant le blanc des yeux.... L'ennemi reflue...
Dubin atteint la digue et l'occupe après une bonne heure de combat.........
Au nord, une partie de la section du sergent-chef Ahmed débarque à une centaine de mètres. .....Les
Marocains ont gagné environ cinquante mètres. Il est un peu plus de 8h .........
Vers 8h20, Dubin fait mettre sa mitrailleuse en batterie
sur la digue. Deux servants de l'arme sont aussitôt abattus.Des tireurs d'élite sont restés perchés dans les peupliers.........
A 9h30, le commandant Brunel prend pied dans la tête de
pont avec la moitié de son bataillon. Vers 11h15, les éléments épars des compagnies sont regroupés et un secteur est assigné à chacune d'elles.........
Le lieutenant-colonel Gandoët, héros de la campagne d'Italie, obtient à 17h l'accord du commandant du 4eRTM, pour faire passer un bataillon de son régiment par la tête de pont des marocains en utilisant une partie
de leurs bateaux...........
En fin d'après-midi, la tête de pont du 4e RTM atteint 1500 m de longueur sur 150 m
de profondeur. A 19h30, le leutenant Cussac fait traverser le Rhin au général de Lattre de Tassigny qui complimente le chef de bataillon
Brunel mais exige de lui qu'il occupe immédiatement Rheinsheim........
La tête de pont de Rheinsheim est occupée à 23h et la voie
ferrée atteinte dans la nuit...... La France la doit au 3e bataillon du 4e RTM, à la ténécité et au courage de Dubin, de ses hommes et aux pilotes des M2 du génie. Mais
toute la 2e division marocaine y a sa part de gloire..........
Au cours de cette traversée du Rhin sous un feu violent, 54 sapeurs de génie
sont tués, noyés ou blessés sur un effectif de 90 hommes. A la fin de cette opération comprenant 81 engins dont 50 bateaux M2, 38 sont détruits dans les premières heures de
combat.........
Une semaine après l'ouverture de cette tête de pont, une prise d'armes se déroule le 7 avril sur
l'autoroute de Karlsruhe. Des officiers, sous-officiers et hommes de troupe sont décorés par le général de Gaulle en personne........
Un autre site http://annette.brunel-gilles.mostini.pagesperso-orange.fr/Brunel/4eRTM.htm donne également des détails sur cette journée du 31 mars 1945.
Ensuite ce sera, pour Jacques, la campagne d’Allemagne, qui amènera l’armée française, en moins d’un mois, au cœur du Wurtemberg, puis sur les rives du Danube aux portes de l'Autriche via
Stuttgart et la Forêt Noire. Et le 8 mai, jour de l’Armistice, Jacques se retrouvera à Immenstadt en Bavière, après avoir transité par Sigmaringen, aux
bords du Danube, là où s’étaient réfugiés les derniers collaborateurs du régime de Vichy en septembre 1944. Il ne fera pas partie du groupe d’une centaine d’hommes issus de la compagnie Ruby du
20ème BCA et de spahis marocains qui, à partir du 5 mai, franchiront les sommets du Tyrol à 2250 m d’altitude, avec l’objectif d’arriver avant les
Américains à St Anton, via le col de l’Arlberg6. L’épopée de la première armée française
s’arrêtera à cet endroit. Elle aura permis à la France de retrouver son assise politique sur le plan international en lui octroyant un siège permanent et un droit de vote, assorti d'un véto, au Conseil de
Sécurité des Nations Unies.
Parcours du
20ème Bataillon des Chasseurs alpins en 1945 (site: www.bataillonsdechasseurs.fr/20bc.f.htm)
1945 :Recréation du 20e BCA, à partir du Corps-franc d'Indre-et-Loire, du 1er Bataillon du Charolais et du BARR/2eDIM( ex groupe de Commandos
Vigan-Braquet)7
Alsace : Cernay, Nonnenbruch, Neuf-Brisach et Heiteren, Lautebourg,
Allemagne : Germersheim, Russheim, Hochstetten, Linkenheim, Karlshure, Forêt-Noire, Freudenstdt,Tübingen, Sigmaringen, Immenstadt-im-Aligau,
Autriche : col de l'Arlberg, Sankt-Anton,
De cette expérience, Jacques en ressort avec la Croix de Guerre et la Médaille Commémorative de la guerre 1939-1945. De retour en France, après avoir travaillé un court moment comme traducteur pour
l’élaboration de fiches techniques de matériel en provenance des Etats-Unis, Jacques tombe sous le charme de Michelle LASNET de LANTY, une fille d’un couple de résistants. Malgré son absence de
particules, Jacques, par sa bravoure affichée au sein du 20ème BCA, avait démontré qu’il avait lui aussi par son courage le droit d’entrer dans cette famille.
Après avoir accumulé des coups de coeur, des coups de force
et des coups de gueule, après avoir séduit par sa robustesse et sa finesse d'esprit toutes les personnes qui l'ont cotoyé8, Jacques
PARFONRY a abandonné sa seconde vie ce 23 mai 2012 à l'âge de 88 ans.
A la fin de la cérémonie
religieuse, Jacques recevra l’hommage des drapeaux des Anciens combattants, qui sera suivi par la lecture du poème « La mort n’est
rien », lu par Patrick LASNET de LANTY, neveu de Jacques, dans le cimetière de Jouy-le-Potier avant l’inhumation.
Ce poème est attribué souvent par erreur à Charles PEGUY9.
1 Wikipedia : 1ère Armée (France 1944-1945) ;
2 A la fin décembre 1944, le BARR ( ex DARR) avait perdu
les 2/3 de ses effectifs ;
3 Ce passage du Rhin par une armée fançaise était le
premier depuis celui de Louis XIV en juin 1674 lors de la guerre de Hollande ;
4 Adapté d'un article de Paris Match n° 564 intitulé " Il
y a 50 ans L'Algérie ";
5 Ce CA3 doit manifestement faire
référence à la 3ème compagnie des Chasseurs Alpins ;
6 Les américains arriveront malgré tout avant les français
pour effectuer la jonction avec les troupes remontant d'Italie ;
7 BARR : Bataillon d’Appui du Régiment de Reconnaissance du 2e
DIM, constitué à partir du groupe de commandos Vigan-Braquet (ex. Maquis des Ardennes), prenant le nom de 20e Bataillon des Chasseurs Alpins le 24/01/ 1945 ;
8 Extrait du texte lu lors des obsèques de Jacques PARFONRY le
26 mai 2012 à Jouy-le-Potier par deux de ses petits-enfants;
9 Ce poème "La mort n'est rien" est un
texte écrit à l'origine en anglais qui aurait été lu pour la première fois lors de l'enterrement du roi Edouard VII à la Cathédrale Saint-Paul à Londres en 1910. On n'en connait pas
l'auteur ; C'est Charles Péguy qui l'a fait connaitre dans sa version française ;
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