Une fois l'effet de surprise assimilé, suite à la découverte des deux lettres P Y dans un renfoncement d'un marbre attenant à la petite porte d'entrée du Carmel (voir article : Un dernier marbre au Carmel-Créteil 1), l'heure de notre entrevue avec la Mère prieure se précisait. Nous furent reçus de manière très courtoise par Hélène, responsable de l'économat. Elle nous apparaitra plus tard comme la seule partie bien visible de cet îlot d'invisibilité de l'Avenue de Ceinture. Pareil à ce qui se passe dans un cabinet médical, dans une étude de notaire, nous attendions que notre tour arrive pour, croyais-je encore, avoir un entretien à bâtons rompus avant de faire la visite des lieux.
Pour tout dire, à ce moment, j'avais en mémoire le visage de Soeur Clotilde, le personnage un peu déluré, exhalté, comique qui intervient dans la série des Gendarmes à Saint-Tropez. Mais aussi celui de Soeur Madeleine, cette jeune nonne pleine de vie, avec qui j'avais arpenté les allées du verger de l'Abbaye bénédictine de Keur Guilaye, près de Dakar, dans les années 1980. De ces deux seules rencontres, je m'étais fait, à vrai dire, une idée assez joyeuse du monde des nonettes recluses.
Après quelques minutes d'attente, l'équipe, que nous constituions, reçut l'autorisation d'entrer dans une pièce située en face de l'économat. Quelques chaises nous y attendaient, sans autre mobilier usuel. On se trouvait dans un parloir. Quoi de plus normal me direz-vous dans un endroit pareil et quand on y est préparé. C'est alors qu'est apparue devant moi une sorte d'oeuvre d'art moderne, faite de deux cadres verticaux constitués d'épais barreaux de métal foncé de 3-4 cm d'épaisseur. Pire qu'un parloir en milieu carcéral. Et de l'autre côté, on entrevoyait une forme qui bougeait quelque peu. Comme les deux cadres étaient décalés l'un par rapport à l'autre, la vision nous était tronquée, imaginant une masse de couleur noire avec quelques carrés blancs. Nous avions de fait devant nous Soeur Marie-Claire de la Passion, Mère prieure du Carmel de Créteil. Un tel tableau, me suis-je dit, aurait pu influencer Picasso pour développer son art déformé des visages qu'on appelera le Cubisme.
Je ne puis dire que la première vision, une fois assimilée, m'ait apaisé et rendu à ma quiétude. Ce serait mentir. Alors que ce mot de liberté est de nos jours fort usité, de quelle liberté était-il question dans ce monde contemplatif ? Parler sans ressentir l'expression des sentiments de son vis-à-vis, sans voir le mouvement de son corps, sans goûter au plaisir de la parole, sans renifler le parfum de la pièce, avec les sons étouffés par l'épaisseur des barreaux. Je découvrais la réalité mystique et ésotérique d'un Carmel.
Vue arrière de la villa de Créteil avec la colonne de marbre (début XXème et 2013)
La Mère prieure, bienheureuse de nous entrevoir, commença par souligner combien il est important de refaire l'histoire d'une famille, de retrouver ses racines. Et manifestement contente de pouvoir désormais expliquer l'origine de l'architecture particulière de la maison (voir article : La villa flamande de Créteil). Agnès s'était donnée, il est vrai, un mal de chien pour lui présenter sur deux pages l'intérêt de notre démarche. Soulignant également les efforts entrepris par sa Communauté pour assurer son entretien. Inscrite dans la liste du patrimoine à préserver de la commune de Créteil, cette villa est évidemment assez dispendieuse pour la maintenir en état. Ce qu'apparemment, et vu de l'extérieur, s'est attelé ce Carmel. Si la cheminée a été rabattue, sans doute pour éviter la chute de briques, le ravalement de la façade a été effectué il y a deux années. L'oeil aguerri de Michel constata cependant que les trois ancres qui avaient servi à maintenir la structure autour de la cheminée n'étaient plus en place. Il serait évidemment trop optimiste d'espérer percer le mystère de leurs suppressions.
Point question évidemment de nous permettre de passer outre de ce parloir, au risque de rencontrer l'une ou l'autre des 17 soeurs de cette communauté entièrement dévouée à la prière. Devant nous contenter de la description qui en sera faite. On apprendra ainsi qu'un atelier de reliure était installé au 1er étage dans une pièce très claire pourvue de 6 fenêtres. Sans doute l'atelier de peinture de Paul lorsqu'il s'est installé dans cette villa. Les différents étages sont accessibles par un escalier en colimaçon en bois serpentant dans la tourelle que l'on peut voir de l'extérieur. Aucun marbre ne nous a été signalé, ce qui est évidemment surprenant. Seule, la colonne à l'extérieur, que l'on aperçoit sur une ancienne photo, est toujours en place. D'ou provient - elle ? Probablement importée d'un site de fouille (Grêce, Egypte !!) et installée à Créteil par le marbrier.
Un dernier détail intéressant nous sera livré avant de quitter le parloir. L'existence de carrières anciennes dans la région de Créteil, comme il en existe des milliers sous la ville de Paris, a laissé comme vestiges la présence de souterrains à certains endroits. L'un d'eux permettait la liaison avec l'extérieur. Il a du être comblé à un moment par les soins du Carmel afin d'éviter toute visite inapropriée, mettant en péril la quiétude et l'isolement de ce lieu. Seul, le Service Technique des Carrières de Paris est autorisé chaque année à passer une inspection pour en évaluer les risques d'effondrement.
Dernière petite information, cette villa a été rebaptisée par cette communauté religieuse. Elle s'appelle désormais Nazareth. Ville israélienne d'ou seraient originaires Joseph et Marie, personne parmi nous n'a pensé a demander l'explication de ce choix. Le dogme préservé dans le Prieuré de Sion, qui constitue la trame du Da Vinci Code, serait-il ici de même nature ? Mais plus prosaïquement, le terme "Ancienne propriété Parfonry " qui se perpétuait dans la mémoire de Créteil, ne pouvait être approprié avec une telle occupation des lieux. Un nouveau nom de baptème fut décidé comme choix du nouveau code d'honneur appliqué dans l'enceinte. Heureusement, il nous reste les deux lettres P Y gravées dans le marbre à l'entrée. Ce sera notre secret pour attester que l'histoire familiale s'est prolongée depuis lors non par le Saint-Esprit mais bien par la Vie et dans un esprit sain.
Laissons le Carmel dans son silence. Bien des questions restent à la suite de cette visite. Pas de photos d'intérieur. Pas de documents anciens. Pour percer finalement tous ces mystères du Carmel, il ne nous reste plus qu'à nous infiltrer dans l'une des équipes du Service des Carrières de Paris, à l'occasion de l'une de leurs visites annuelles de contrôle. Da Vinci Code n'avait pas prévu cette éventualité !!!!.
PS : Il est de mon recours de dire que la lecture de cet article doit être envisagée dans le seul contexte de la liberté de penser et d'expression. Tout en m'appropriant l'entiereté de son contenu, il va de soi que je n'ai pas outrepassé, au travers de l'humour et de l'anecdote, le cadre informatif, instructif et malgré tout ludique lié à cette recherche sur la famille.
Nous avions été très touchés par l'appel téléphonique préalable de la Mère prieure qui a accepté de nous rencontrer. Déçu néanmoins d'être si proche d'une preuve du parcours familial, nous imaginons désormais la vie de cet aïeul immigré belge, figurant parmi les bienfaiteurs de Créteil. Pour remercier le Carmel d'entretenir cette maison, certains d'entre nous ont apporté des dons à l'occasion de cette visite. Nous sommes convaincus, par ailleurs, que le contenu de cet article s'avèrera intéressant pour s'intégrer dans l'histoire de ce Carmel. Si aucune suite ne peut étre envisagée, il nous restera des traces et non des preuves. Seules les traces font rêver nous a dit le poète René CHAR. En somme, nous sommes devenus des bienheureux, ayant pu profiter de cette rencontre.
Photo 1 :Françoise et Agnès devant le grillage d'entrée de la chapelle du Carmel Sainte-Thérèse. Photo 2 : Vue sur la villa prise de l'Avenue de Ceinture