Voici quatre documents retrouvés aux Archives du Palais Royal à Bruxelles. Ils
se rapportent à Hubert - Narcisse PARFONRY, l'un des frères d' Emile, le militaire mort et enterré au Congo en mars 1883.
Le premier se réfère à un Conseil de discipline militaire. Hubert - Narcisse était en effet, tout comme ses trois autres frères, militaire en
Belgique. Ce Conseil avait été convoqué à la suite d'un fait de service d'ordre dont il est amplement détaillé dans les autres documents. Il s'est tenu entre le 7 septembre, date des
faits, et le 22 octobre 1884, date de la lettre écrite par Hubert - Narcisse. On y transcrit l'avis de cinq supérieurs hiérarchiques. De leur lecture, on peut très certainement
y déceler une certaine influence suivant l'orientation politique et l'origine sociale des supérieurs. Il est en effet surprenant de trouver une si forte discordance d'appréciation et surtout
d'analyse entre les différents avis.
Conseil de
discipline
PARFONRY Hubert, Narcisse
Sergent major au régiment des carabiniers
Avis du
Chef de corps : Sous Officier intelligent, plein de zèle et d’application au travail. Il fera plus tard un bon officier.
Avis du
Général de brigade : Insignifiant, vulgaire, sans distinction aucune. Son épreuve littéraire a été au dessous du médiocre. Je ne puis appuyer cette
candidature.
Avis du
Général de division : Je ne comprends pas comment un chef de corps ose produire un aussi médiocre sous-officier pour candidat sous-lieutenant.
Avis de ?? : Si ce jeune homme n’a que peu d’instruction, ce n’est pas de sa faute ; il a du quitter l’école à 14 ans et
exercer la profession de charcutier chez son père, jusqu’à l’époque de son engagement. C'est-à-dire jusqu’à 21 ans. Le frère a été Officier dans l’armée.
Avis du
Général circonscriptionnaire : Je me demande comment on peut songer à faire un officier d’un charcutier vulgaire et ignorant n’ayant pas encore 4 années de
service.
Le second document, daté du 22 octobre
1884, écrit par Hubert - Narcisse à l'attention de Léopold II, fait mention de la punition affligée, à savoir 14 jours de prison militaire, concilié avec la rétrogradation du grade. Mais surtout,
il est rappelé le fait que Léopold II avait été sensibilisé par la situation familiale suite au départ en août 1882 d'Emile, le frère pour le Congo. Une promesse de protection aurait ainsi
été accordée par le Souverain.
Lettre
d' Hubert - Narcisse Parfonry à Léopold II
Sire,
Votre
respectueux sujet vient humblement implorer de votre Majesté une grâce d’où dépend son avenir.
Il a
confiance dans votre haute justice et se permet avant que d’exposer Sa demande de vous rappeler une promesse que vous avez daigné faire au mois d’août 1882 au Sous-Lieutenant Parfonry du
10ème régiment de Ligne, lors du départ de cet Officier pour l’expédition en Afrique.
Vous
avez daigné Sire, promettre votre haute protection à sa famille et à ses frères qui comme lui, servent tous le drapeau Belge.
Le
Soussigné est le frère du Sous lieutenant Parfonry, et vient humblement vous soumettre le cas d’une punition qui vient de lui être infligée et dont la rigueur brise toutes ses espérances
d’avenir.
Après
avoir subi 14 jours de prison militaire, pour ne pas avoir empêché d’autres sous-officiers de répondre « vivent les bleus « vive l’armée « à l’invitation de plusieurs
manifestants bourgeois qui passaient devant les casernes, il est en outre rétrogradé au rang de Sergent pour ce motif.
Il ose
assurer votre Majesté qu’il n’est en rien coupable de ce qui s’est passé et à pleine confiance dans votre haute équité, il est, Sire, de votre Majesté, le très dévoué et respectueux
Sujet.
Liège,
le 22 Octobre 1884
Le troisième document, daté du 5 novembre 1884, est rédigé par le Ministre de la Guerre au Secrétaire du Roi. On y relate assez bien le détail des faits qui ont
conduit à son passage au Conseil de discipline. Le sujet fait penser plus à une blague d'étudiants en goguette, plutôt qu'à un problème majeur de service d'ordre mal contrôlé. Les faits qui y
sont décrits font plus volontiers le lien avec la citation d'une orientation politique de ces troublions, en opposition à un esprit espiègle vis à vis du prêtre offusqué par
cette incartade. Faisant suite à ces descriptions, on retrouve par la suite les considérations de la hiérarchie militaire. Contre l'avis final du Conseil de discipline, le Ministre de la
Guerre se rallie à l'avis des plus hauts gradés, allant dans le sens de la rétrogradation de grade. Mais, la référence au frère envoyé au Congo fait basculer la décision
en préconisant une demi mesure qui autorisera de restituer le grade après une certaine période. Manifestement, une influence " externe " a du se déclarer pour en arriver à cette
attitude.
Lettre du Ministre de la
Guerre au Comte de Borchgrave d’Altena, Secrétaire du Roi
Bruxelles, le 5 novembre 1884
Monsieur
le Comte,
Vous
m’avez fait l’honneur de me demander quelles sont les causes qui ont donné lieu à une punition de 14 jours de prison militaire, infligée au sergent major Parfonry, du 10ème de ligne,
ainsi qu’à la rétrogradation de ce sous-officier au rang de sergent.
Voici
l’exposé des faits qui ont provoqué ces mesures de rigueur.
Un
prêtre de Louvain, poursuivi le 7 septembre au soir par des individus qui criaient « à bas la calotte « était arrivé devant la caserne occupée par le 10ème de ligne, l’un
de ses insulteurs, se tournant vers des sous-officiers et soldats qui se trouvaient devant la porte, leur cria : " A bas la calotte mais vive l’armée … Oui, vive l’armée qui fait avec les
bleus… n’est ce pas qu’elle fait avec les bleus ? "
Trois
sergents répondirent aux manifestants en criant : " Oui, vivent les bleus ".
Le
sergent major Parfonry, le militaire le plus élevé en grade présent, n’interposa pas son autorité pour faire cesser cette scène de désordre, qui se produisait en présence des soldats de
garde.
Puni de
ce chef et traduit devant un conseil de discipline prouve la perte du grade, en même temps que l’un des sergents qui avaient crié " Vivent les bleus ", et dont la conduite antérieure était
la plus répréhensible, le Conseil décidé par trois voix contre deux qu’il n’y avait pas lieu de casser ces deux sous-officiers.
En
transmettant les procès-verbaux du Conseil de discipline à l’autorité supérieure, le Colonel commandant le régiment déclare qu’il ne pouvait se rallier à ses
conclusions.
Le
Lieutenant général baron Van der Smissen, commandant la 2ème circonscription militaire, m’écrivit le 3 octobre, en me rendant compte de ces faits déplorables, qu’il regrettait de ne
pouvoir s’opposer à la décision du Conseil de discipline mais qu’il ne pouvait cependant s’empêcher de déclarer que l’esprit politique qui « gagne l’armée a besoin d’un exemple
« .
En
présence de ces considérations auxquelles je me suis rallié complètement, et eu égard à la conduite coupable tenue par le sergent-major Parfonry, j’ordonnai de le rétrograder au rang de sergent,
conformément aux prescriptions des arts. 12 et 13 de l’instruction générale du 25 janvier 1878, pour « ne pas avoir interposé son autorité, afin d’empêcher ses inférieurs en grade de
prendre part à une manifestation politique «.
Cet
exemple était surtout nécessaire à raison de la publicité qu’on a donnée à cet incident regrettable, et parce qu’une plainte m’avait été adressée par le prêtre qui a été l’objet de ces
manifestations déplacées.
Mais,
comme le sergent Parfonry n’a pas de mauvais antécédents, et que, d’un autre côté, il est le frère du sous-lieutenant Parfonry décédé le 24 mars 1883, à la station de Manyanga, au service de
l’association internationale Africaine, j’appelle sur ce sous - Officier la bienveillante attention de son chef de corps, afin de lui rendre d’ici à quelques mois son grade de sergent major et de
lui permettre de poursuivre sa carrière dans l’armée, s’il ne donne plus lieu à de nouvelles plaintes.
Veuillez
agréer, Monsieur le Comte, l’assurance de ma haute considération.
Le Ministre de la Guerre
Le quatrième document est une lettre de juillet 1885, rédigée par Hubert -
Narcisse et adressée à Léopold II. Il y fait référence à la situation difficile suite au décès du frère militaire protecteur. Ayant désormais la responsabilité de ses trois frères
cadets (Joseph, Edmond et Alfred), il joue sur la corde sociale et familiale sensible pour obtenir l'autorisation de passer une épreuve pour un grade supérieur. Assez curieusement, on n'y
retrouve pas la relation à la promesse de soutien qu'aurait octroyé Léopold II en 1882. Il est probable que la demi mesure préconisée dans la lettre précédente, associée à la restitution du
grade, devait résulter d'un compromis appuyé par Léopold II. Il n'y avait plus besoin de le rappeler vu qu'elle avait déjà été prise en compte.
Lettre d'Hubert - Narcisse Parfonry à Léopold II
Bruxelles, le 17 juillet 1885
Sire
C’est avec une grande confiance dans la bonté de Votre Majesté pour
ses sujets que je me permets de Lui adresser cette supplique.
Connaissant en outre l’intérêt et la vive affection de Votre Majesté
pour tout ce qui touche la grande œuvre libératrice du Congo, je prends la respectueuse liberté d’implorer Votre indulgence pour le frère du sous-lieutenant Parfonry, du 10ème régiment
de Ligne, décédé il y a deux ans, victime de son devoir, dans ces régions éloignées.
Sire, voici en quelques mots ma situation ; je suis sergent-major
au régiment des Carabiniers, j’ai pour toute famille trois frères plus jeunes que moi et qui sont également militaires en Belgique, deux d’entre eux sont sous – officiers au 10ème
régiment de Ligne et le 3ème au 7ème. Feu mon frère servait de père à cette petite famille, en partant il m’a laissé comme succession le soin de veiller sur eux et de les
aider en toutes circonstances, malheureusement je me trouve moi-même dans une situation fort médiocre pour pouvoir leur être d’une grande aide.
Je suis proposé pour la sous-lieutenance. J’ai satisfait au premier
examen, et, quoique ma conduite ne supporte aucun reproche, je n’ai pu être admis à subir la dernière épreuve, le grand nombre de candidats étant, je suppose, le seul
obstacle.
Si Votre Majesté me faisait l’honneur de me faire admettre à subir ce
dernier examen, je témoignerais ma reconnaissance en sacrifiant tous les moments de loisir que me laisse le service, et même mes nuits, pour sortir victorieux de cette épreuve, laquelle me
garantirait une position honorable qui me permettrait de me rendre plus utile à ces orphelins plus jeunes que moi, qui ne demandent qu’à marcher dans la bonne voie que leur a tracé leur infortuné
frère.
Espérant que Votre Majesté daignera donner une suite favorable à ma
demande, je me soumets bien humblement à Sa décision et reste avec le plus profond respect, Sire, De Votre Majesté,
Le très
humble et très dévoué sujet
En conclusion, on peut
constater que cette dernière lettre a été écrite peu avant le départ d'Hubert - Narcisse pour le Mato Grosso au Brésil. Il est indéniable qu'on ne peut qu'y voir une relation. Le Souverain,
impliqué dans cette exploitation d'un territoire, via une société privée belge, a du y voir l'opportunité d'utiliser l'esprit combatif d'Hubert - Narcisse. D'autant qu'entre temps, il avait
été probablement mis au courant des témoignages positifs formulés sur son frère par STANLEY et COQUILHAT. On pourrait considérer également qu'il a été jugé opportun une mise à l'écart du trublion
afin de ne pas donner trop de considérations au suivi de son dossier. Sur un autre plan, on ne peut indéniablement ne pas faire le lien entre le rôle joué par Emile
PARFONRY au Congo dans la signature de traités avec les chefs locaux et le fait qu'il sera également demandé à Hubert - Narcisse, devenu Directeur d'exploitation, de réaliser le même
genre d'opérations au Brésil en acquérant des concessions auprès des indiens locaux.